Ça fait bien longtemps qu’elle et moi, on traine ensemble.
Par moments ça frôle l’émerveillement, d’autres, plus calmes, où l’on se tient la main et puis au détour d’une voie ou d’un maux chacun peut partir de son côté, on le sait, on l’a fait…
Santé, yec’hed mat, prost, à la vie, à l’amour, à la photographie.
Premières photos – voyage à Londres avec l’école. Cadeau de communion reçu – un appareil en bakélite – objectif vissant/dévissant, selon prise de photos ou pas. 6X9 petits trous. Consigne de mon père, après achat d’une pellicule : ramener des photos de la capitale anglaise. Les photos furent prises à l’aller sur le bateau – elles montraient exclusivement les mouettes qui passaient au-dessus des têtes. En parlant de tête, celle de mon père…
Première histoire, premiers contacts, premiers frissons.
Non je ne fis pas mon service militaire au service photo des armées ! De son retour date mon embauche chez un artisan photographe – lui me laisserait réussir ou rater des photos de mariage pendant qu’il construirait son bateau, en vue d’un tour du monde, dans le port de Saint-Brieuc – moi j’apprendrais, j’apprendrais et j’apprendrais ! Bateau construit – tour du monde, prêt… partez.
Atterrissage : Plénée-Jugon – lieu de naissance de mes deux parents – installation d’une boutique de photographe – mariages, portraits, communions, vente de matériel.
La Chambre Régionale des Métiers de Rennes, sous l’impulsion de Jean Corre, lance un beau programme de formation – Les maîtres de stages : Hans Sylvester, Michel Saint-Jean, Dieuzaide, Guy le Querrec… révolutionnent les regards, les attitudes, le travail… les vies d’une bonne trentaine de photographes bretons. Parmi eux : Guy Hersant, Alain Le Nouail, Jean-Pierre Féquet (exposition collective « un autre regard sur le mariage » ), Yvon Bouëlle, Michel Thersiquel (travail à deux pour une exposition commandée par le Pays du Mené)…
En mai, fait ce qu’il te plait… En mai de cette année là, mauvaise (ou bonne) nuit – réveil en sursaut, je vois des robes de mariées voler au vent, comme un drapeau, sur un fond noir… Clap de fin sur 13 ans de pratique de photographe boutiquier, de photographe de mariages, même traité en reportage humaniste, il n’y avait plus rien à dire. Première séparation.
Un ami est graphiste, nous nous associons pour créer Ar’Image, un studio de création en communication. J’y serai le photographe pour des images le plus souvent « alimentaires » – Quelques années passent et « l’alimentaire » ne passe plus, reste en travers de la gorge. La demande en communication prend plus en plus de place chez les clients d’Ar’Image, l’agence grandit – nous commanderons les images chez des photographes extérieurs. Seconde séparation.
Jacques Chirac dissout l’Assemblée Nationale… Bien joué Monsieur le Président, faudrait que je lui écrive (trop tard !) pour lui dire qu’une décision politique nationale a un impact différent sur chacun des 59 964 851 français de l’époque. Pour moi, ce fut l’occasion d’accompagner un ami dans cette campagne électorale des législatives. La gauche gagne. Lionel Jospin arrive à Matignon, compose son gouvernement, demande à Charles Josselin de venir le rejoindre et donc de démissionner de son mandat de Président du Conseil Général des Côtes d’Armor. L’ami accompagné pendant cette campagne le remplace à la tête du département, je rejoins Claudy Lebreton à son cabinet.
Quinze ans de collaboration. Quinze ans de politique, de politique au quotidien qui touche le quotidien… Entrecoupés d’une » pose » de cinq ans pour monter une direction de l’information au sein des services, un magazine mensuel de 48 pages et un site internet d’information. Cinq journalistes, un photographe, trois web- rédacteurEs, deux web-designeurs, une assistante de rédaction… Une équipe de « fous » !
Une idée et une aventure folle : créer deux médias ayant une ligne éditoriale sans contrainte politique, à l’intérieur d’une collectivité territoriale.
Réussite collective grâce à la confiance, extrêmement rare dans ce domaine, de l’élu, de Claudy Lebreton et à l’implication forte des équipes. Réussite personnelle de relever ce défit, de faire l’expérience de mettre les idées en pratique.
Pendant ce temps là, elle avait repris une place dans ma vie, elle me refaisait des clins d’œils, elle me chuchotait à l’oreille, mais je nous sentais différents, nous n’étions plus les mêmes. En vingt ans, les choses avaient, elles aussi, changé. La photographie et moi retrouvions des moments de joie, des purs moments de bonheur, sans partage, sans pression, seule à seul. Un rapprochement délicat, lent, comme un corps à corps à la recherche de la sublime caresse.
Une première expérience de monstration du travail : exposition seul, pendant deux mois au café Théodore à Trédrez-Lokemo, deuxième expérience avec l’ouverture d’une galerie « éphémère » à Morlaix avec une céramiste, Marie Janvier, et une graveure, peintre, cinéaste, Alice Heit.
Une autre écriture devenait possible, sans règle, sans connu, tout en lenteur… elle arrivait en tâtonnant et puis disparaissait pour revenir, sans bruit, là, juste à côté. Un léger p’tit coup de coude, un p’tit sourire et bras dessus bras dessous, cahin-caha, sans peur, sans tabou, les yeux dans les yeux, nous repartions dans cet apprentissage, cette recherche, ces moments d’humilité où ce n’est plus le mental qui construit une image, mais qui laisse très librement l’index, les yeux, les oreilles, le nez, le cœur prendre leur place, toute leur place.
Gérard Rouxel,
né le 16 décembre 1952 à Paris 6. Pour ceux qui s’y intéresse, un sagittaire ascendant lion pour l’astrologie occidentale et un dragon d’eau pour la chinoise…